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En visitant un bien immobilier, vous remarquez, en tant que dirigeant d’une société, un projet intéressant. Cet intérêt se concrétise un peu plus tard : vous ne signez pas en tant qu’acheteur en votre qualité de directeur de la société, mais achetez le bien à titre privé.

Un point délicat, qui suscite de nombreux débats. Mais peut-être la question la plus importante : est-ce autorisé ? En tant que dirigeant d’une société, si vous remarquez une opportunité entrepreneuriale, pouvez-vous la saisir vous-même ou avez-vous l’obligation de la saisir au profit de la société ?

En outre, existe-t-il une obligation d’exploiter les opportunités uniquement au profit de la société et quelles en sont les conditions ? Peut-on renoncer à cette obligation ?

Nous abordons les questions ci-dessus – qui relèvent de la doctrine de l’opportunité d’entreprise – ci-dessous.

QU’EST-CE QUE LA DOCTRINE DE L’OPPORTUNITÉ D’AFFAIRES

La doctrine des opportunités d’affaires ou “corporate opportunities doctrine” est le principe selon lequel le dirigeant d’une société est tenu (i) de détecter activement les “opportunités d’affaires”, au moins dans le cas d’un dirigeant exécutif, (ii) de le signaler aux autres administrateurs lorsque l’opportunité lui semble intéressante et (iii) de laisser la société exploiter cette opportunité et donc de ne pas la soustraire à la société elle-même.

La doctrine de l’opportunité d’entreprise trouve son origine en droit anglo-américain dans le devoir fiduciaire de loyauté qui incombe aux dirigeants. Ce devoir de loyauté signifie que les dirigeants sont tenus de subordonner leurs intérêts personnels à ceux de la société et de ses actionnaires. En tout état de cause, un dirigeant est toujours tenu de veiller à l’intérêt de la société : faire primer les simples intérêts privés méconnaît donc l’intérêt social.

Ainsi, il semble que si les dirigeants exploitent pour eux-mêmes une opportunité d’entreprise, on peut conclure à un manquement à ce devoir de loyauté.

QU’EST-CE QU’UNE OPPORTUNITÉ D’ENTREPRISE

Afin qu’il y ait une obligation de la part du dirigeant, il est primordial de comprendre ce qu’est exactement une ” opportunité entrepreneuriale “. En effet, ce concept est au cœur de la définition de la doctrine de l’opportunité d’affaires. En effet, seules les opportunités entrepreneuriales peuvent créer des obligations de la part du dirigeant en vertu de la doctrine de l’opportunité entrepreneuriale.
Pour déterminer s’il existe effectivement une opportunité d’affaires, trois indicateurs sont importants.

1. Un premier indicateur de l’existence d’une opportunité entrepreneuriale est celui des attentes légitimes de l’entreprise. L’entreprise a-t-elle déjà une revendication légale concrète de l’opportunité ? Ou, ce qui est encore plus frappant, l’entreprise a-t-elle déjà manifesté son intérêt pour l’opportunité (ou des opportunités similaires) ? Ce sera le cas lorsque les négociations étaient déjà bien avancées ou, par exemple, lorsque l’entreprise avait déjà pris une option. Dans ces cas, l’entreprise peut supposer que l’opportunité entrepreneuriale lui appartient effectivement.

2. Une autre indication est l’activité économique de l’entreprise (ou des entreprises). Si l’opportunité entrepreneuriale s’inscrit dans le cadre des actions de l’entreprise, le domaine économique dans lequel l’entreprise opère, même dans ce cas, il sera plus rapidement jugé que l’opportunité entrepreneuriale appartient à l’entreprise.

3. Enfin, la capacité dans laquelle le membre du conseil d’administration a pris connaissance de l’opportunité entrepreneuriale est importante. Si le dirigeant profite d’une opportunité d’affaires après l’avoir déjà négociée au nom de la société, ou si sa qualité de dirigeant lui a permis de prendre connaissance de l’opportunité d’affaires, il sera plus rapidement en faute que s’il avait saisi l’opportunité en tant que personne privée. Toutefois, cela ne signifie pas qu’en cas de connaissance privée, il ne peut y avoir d’opportunité entrepreneuriale.

En principe, le fait qu’il y ait une opportunité d’affaires empêche le dirigeant de la prendre à la société. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il ne peut jamais l’exploiter pour lui-même ou pour un tiers. Ainsi, avant d’exploiter l’opportunité entrepreneuriale, le dirigeant pourrait demander et recevoir l’autorisation de la société.

Si le dirigeant omet de notifier une opportunité d’affaires et d’obtenir l’autorisation de la société avant de l’exploiter pour lui-même, cette négligence compromet potentiellement sa responsabilité dans la mesure où une perte réelle d’opportunité d’affaires peut être prouvée comme dommage.

LA DOCTRINE DE L’OPPORTUNITÉ D’ENTREPRISE A-T-ELLE SA PLACE EN BELGIQUE ?

Comme mentionné ci-dessus, les racines de la théorie de l’opportunité d’affaires se trouvent dans les pays anglo-saxons.

A ce jour, le droit belge des sociétés ne contient pas de dispositions spécifiques régissant le conflit susmentionné entre un intérêt patrimonial et celui de la société sur la question de la répartition des opportunités d’affaires. Toutefois, la majorité des juridictions inférieures semblent acquises à l’idée, bien que les fondements et les conditions de la doctrine des opportunités d’affaires fassent débat. L’ambiguïté prévaut.

La doctrine des opportunités d’affaires pourrait toutefois faire partie de l’évaluation de la faute ordinaire d’un dirigeant, dans le sens où elle pourrait faire partie de l’évaluation de la conduite d’un administrateur ordinaire et prudent placé dans les mêmes circonstances.

Elle pourrait également faire partie du devoir de loyauté des dirigeants et découler de leur obligation contractuelle d’exercer leurs fonctions de bonne foi.

DÉCISION

Le droit évolue et se développe. Le dernier mot sur la doctrine de l’opportunité d’entreprise n’a pas encore été dit en Belgique.

Sources :

K., DEWAELE, B. TILLEMAN, bestuur van vennootschappen, Die Keure, 2022, 348-360.
K., DEWAELE, B., TILLEMAN, Ondernemingskansen in vergelijkend perspectief, Liber Amicorum Denis Philippe, 2022, 1153-188.
K., DEWAELE, Ondernemingskansenleer naar Belgisch recht : dood, begraven en herrezen, TRVRPS 2022, afl. 7, 627-631.

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